Grand témoin

« Ce qui compte avant tout pour une marque, c’est son identification » Etienne Robial

Alors que le musée des Arts décoratifs de Paris lui consacre actuellement l’exposition rétrospective « étienne+robial. graphisme & collection, de futuropolis à canal+ », ce pionnier de l’expression des marques sur différents territoires nous apporte son regard et sa vision de ce qui fait identité aujourd’hui. Entretien.

Avec votre parcours dans l’édition et le design de marque, vous avez été l’un des premiers à penser l’expression d’une marque sur différents supports et différents territoires. Quels sont selon vous les grands défis d’aujourd’hui pour assurer la cohérence et la structuration des messages ?

Ce qui compte, c’est la façon dont une marque est immédiatement reconnue et identifiée, au milieu de toutes les autres. Tout au long de ma carrière, j’ai travaillé sur les différents ingrédients qui interviennent dans l’identification d’une marque. Il ne s’agit pas uniquement du logotype. Les aspects chromatiques, les formes, les alphabets, les sons associés, sont des éléments clefs d’identification.

« Ce qui compte, c’est l’identification d’une marque : sa capacité à être reconnue immédiatement. »

 

Etienne Robial

 

La première fois que nous l’avons fait, c’était en 1982, lorsque nous avons créé l’émission Les Enfants du Rock sur Antenne 2. Rubricage, jingles d’appel, titres, accords de couleurs… tout son contenu était immédiatement identifiable. C’était absolument inédit.

De même, lorsque j’ai travaillé sur l’identité de Canal+, je me suis attaché à construire un système d’identification de la marque, en commençant par le choix particulier du noir. A l’époque, même s’il y avait des émetteurs couleurs, dans l’imaginaire collectif, le noir faisait référence à l’interruption du signal télévisuel. Toute l’identité de Canal+ était étalonnée sur le noir. C’est devenu un élément d’identification très fort. Un peu comme peut l’être l’écrêtage des voix en radio.

Une fois l’étape d’identification établie, il s’agit d’informer (qui est la marque, qu’est-ce qu’elle propose), de hiérarchiser les informations pour bien les distinguer, et de faire valoir les messages. N’oublions pas que la communication n’est pas là pour faire joli, mais bien pour aider à vendre des produits ou des services.

Vous distinguez l’identification d’une marque de sa mémorisation. Pourquoi est-ce important ?

Absolument, et j’y tiens ! L’identification est essentielle car elle permet de savoir où on est (dans quel magasin, sur quel site internet, sur quelle chaîne TV…). La mémorisation est quant à elle plutôt néfaste, car elle use. La mémorisation en communication, c’est un peu comme le tube de l’été. Tout le monde le connait, mais peu l’apprécie dans la durée. La bascule tient parfois à peu de chose, mais c’est bien là que tout se joue.

Pour aller plus loin dans l’idée d’identification, nous pouvons parler de la notion de marque unique. C’est d’ailleurs le travail que j’ai réalisé pour le groupe L’Équipe. Il était question de réunir toutes les entités de L’Équipe (journal papier, magazines, télévision, radio, site internet, réseaux sociaux, événements…) sous une même identité. J’ai ainsi redéfini le cahier des normes de reproduction de la marque (code couleur, typographies, formes…). Chaque entité décline la marque unique sur ses supports de prédilection. L’angle des lettres par exemple, établi à 22,5°, se retrouve en télévision, sur le quotidien, sur les réseaux sociaux. Il va aussi servir à départager les scores.

 

Logo de la marque L’Équipe – On/Off productions 2016 © Étienne Robial

 

Vous êtes un pionnier du design system, d’une expression qui fait système. Alors que les formats se multiplient, quels sont les principes à privilégier ?

Créer une marque revient à construire un univers global, avant même de lui attribuer une identité graphique ou visuelle. C’est à partir de ce choix premier qu’on va définir les codes physiologiques du cercle chromatique les plus adaptés à la marque. La plupart sont instinctifs : le rouge fait référence à la chaleur, à l’immédiateté, au danger ; le bleu au rêve et à l’évasion ; le vert à l’espoir et à l’avenir… On crée ainsi une harmonie chromatique cohérente par rapport à la cible. Et la démarche est la même pour les alphabets. Les caractères typographiques véhiculent une identité : les lettres romanes sont plus avant-gardistes que celles à empattement qui font référence à la tradition par exemple.

 

« Les règles de la perception qui régissent l’identité des marques sont physiologiques. Elles ne sont nullement générationnelles, mais bien intemporelles. »

 

Etienne Robial

 

L’avènement d’internet et la multiplication des formats n’ont rien changé à cela. Ce sont des règles physiologiques liées à nos perceptions, qui ne sont nullement générationnelles ou contextuelles. En revanche, la destination des créations a évolué. Aujourd’hui, les formats et supports sont à géométrie variable. Nos images « natives » ne s’intègrent plus dans des standards comme c’était le cas auparavant. Elles sont désormais mobiles, et doivent pouvoir être visibles, perçues et déchiffrées sur toutes leurs déclinaisons (web, réseaux sociaux, podcasts…). Cette r-évolution est encore plus importante que celle que nous avons connue dans les années 2000 avec la mutation analogique/numérique, des formats 4/3 vers les formats 16/9.

Puisqu’on ne sait plus où le message que l’on construit va atterrir, sur une surface de création, la zone à privilégier pour diffuser un message écrit s’est réduite. Mais n’est-ce pas dans la contrainte que naît la créativité ?

Comment allier métiers de la communication et responsabilité sociale et environnementale ? Plus généralement, voyez-vous une fonction sociale au graphisme ?

Sur cette question, mon avis est assez tranché ! Faire de belles images n’est pas compliqué. La difficulté est de les vendre pour gagner sa vie. Cela implique tout un attirail sociologique sur la façon dont on va argumenter, positionner le produit ou le service à vendre. Savez-vous pourquoi les fruits et les légumes sont toujours présentés sur des toiles cirées vertes au marché ? Tout simplement car cela fait ressortir et réchauffer leur couleur et les rend plus rouge, donc plus attractifs et plus appétissants.

La façon dont nous pouvons agir pour que la perception soit favorable à une marque me fascine. Depuis une vingtaine d’années, on considère qu’il faut impérativement trouver du sens aux images. Je ne suis pas convaincu qu’elles en aient forcément. Pourquoi chercher à donner du sens quand il n’y en a pas ? Je pense que cela appauvrit le graphisme, notamment en France. Contrairement à nos voisins allemands, néerlandais ou suisses, j’estime que la France est un pays graphiquement sinistré. Il n’y a qu’à regarder les logos de la SNCF (inoui), de la Poste ou même notre signalétique routière sur les autoroutes. Ils créent plus de pollution visuelle que d’efficacité. N’en demandons pas trop à la communication. Ne cherchons pas à mettre du sens absolument. Privilégions des créations qui soient graphiquement visibles, agréables à l’œil et efficaces !

 

 

 

Exposition
étienne+robial
graphisme&collection
de futuropolis à canal+

du 10 novembre 2022 au 11 juin 2023
au musée des Arts décoratifs
107 rue de Rivoli, 75001 Paris
+33 (0) 1 44 55 57 50
Métro : Palais-Royal, Pyramides, Tuileries
• du mardi au dimanche de 11h à 18h
• nocturne le jeudi jusqu’à 21h dans les expositions temporaires
• entrée plein tarif : 14 €
• entrée tarif réduit : 10 €
• gratuit pour les moins de 26 ans

Etienne Robial en un clin d’oeil

Après une formation artistique à l’École des Beaux-Arts en France et à l’École des Arts et Métiers de Vevey (Suisse), Etienne Robial débute sa carrière en 1970 en tant que directeur artistique (Barclay, Editions Filipacchi).
Co-fondateur en 1972 de Futuropolis, maison d’édition de livres d’images et de bande dessinée, qu’il dirige jusqu’en 1994.
Spécialiste de systèmes graphiques évolutifs, numéros zéro pour la presse (Le Point, Métal Hurlant, (A Suivre), Télérama, les inrockuptibles), d’images de marques et d’identités visuels d’entreprises (Canal+, PSG, éditions verticales, le CNC et toutes les filiales du groupe Canal+).
Co-fondateur en 1982 de On/Off, société de production spécialisée dans la conception d’identité de chaîne et d’habillage d’antenne, il réalise notamment les habillages de Canal+ (1984), la Sept (1986), M6 (1987), Show Tv (1991), RTL9 (1994-1995), Public Sénat, LCP La Chaine Parlementaire, la chaine l’Équipe…).
Directeur artistique de Canal+ depuis sa création en 1984 jusqu’en 2009.
Professeur de conception graphique à Penninghen.
Membre de l’AGI (Alliance Graphique Internationale).